J’ai exploré le montage vidéo selon une esthétique du chaos, au moyen du logiciel Avid, c’est-à-dire que je mets en images une structure narrative pensée comme un montage cinématographique, en insistant sur les coupures rationnelles et irrationnelles produites parfois par des désynchronisations entre la parole et l’image et par des effets de chocs graphiques, de continuités-discontinuités étranges, créant un rythme producteur de sens. Le montage s’inscrit ainsi dans une esthétique conflictuelle. Depuis quelques années, j’y ajoute une autre dimension qui est celle de la fluidité où le travail de superposition d’images implique des effets d’effacement, d’effeuillement, de transparence et d’évanescence mais aussi des plages d’une dense pigmentation chromatique.
J’y intègre des reproductions ou photos, donc des plans immobiles que j’anime. Ainsi conçue selon le principe des multicouches, la vidéo présente des superpositions d’images dont je conserve des traces par un travail de fossilisation d’empreintes gestaltiques. Chaque couche est travaillée différemment, en accentuant par moment la transparence ou l’opacité, en dénaturant les couleurs par des transferts de pigments, en augmentant la texture, ou pixelisation, ou en la réduisant, en faisant ressortir les éclats et reflets lumineux, ou en les atténuant. Ce travail sur les nuances s’élabore dans le temps, dans la succession des images-mouvements, pour que la matière lumière donne l’impression de circuler dans une fluidité qui emporte les fissures et frisures de mon écriture fragmentaire avec ses catastrophes et ses ruptures d’univers. Par des mouvements latéraux qui aplanissent l’image, plutôt que de rendre l’effet de réel comme l’illusion en trois dimensions habituellement exploitée en vidéo ou en cinéma, je crée un espace fictif, un non-espace. Les configurations de stratifications et de fossilisations, que j’inscris dans la matière-lumière, renvoient certes à ma pratique poétique mais elles renforcent aussi, par inférences sémantiques, l’idée de revenance et de réminiscence accrue par les effets spectraux de certaines figures travaillées par des effets de solarisation, d’inversion, de polarisation, de contraste et de transparence. Ainsi, par un processus de figurabilité du flou, des figures spectrales apparaissent sur le fond des effets formels.